L’affaire Résidence Ville-Marie : La demande de l’annulation ou la révision d’une décision rendue par le CIUSSS Ouest doit être référée au tribunal d’arbitrage — # 69

Cet article vise à résumer le jugement rendu par l’honorable Monsieur le juge Barin, j.c.s. le 23 février 2022 concernant une demande en exception déclinatoire de la défenderesse fondée sur une clause d’arbitrage dans l’entente particulière intervenue entre la Résidence Ville-Marie («Résidence») et le Centre Intégré Universitaire de Santé et Services Sociaux de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal  («CIUSSS Ouest») (Résidence Ville-Marie c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, 2022 QCCS 591). La Cour nous enseigne que le différend soulevé par la Résidence doit être référé à l’arbitre. La question à savoir si la Décision du CIUSSS Ouest est une décision administrative non susceptible d’appel ou de contestation est en fin de compte une question mixte de droit et de fait qui nécessite plus qu’un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier. 

Les faits pertinents

Le CIUSSS Ouest, la défenderesse, est une personne de droit public fournissant des services de santé et des services sociaux. 

La Résidence, la demanderesse, est à la fois une société en commandite logeant des personnes d’âge d’or et une ressource intermédiaire au sens de l’art. 302 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux. 

Les parties étaient partenaires depuis quelques années. 

Le 20 novembre 2019, les parties signent une entente particulière. La clause 7 de l’entente particulière énonce : 

7. RECOURS 

7.1 Mécanismes de concertation et procédure d’arbitrage

7.1.1 Les PARTIES souscrivent à la lettre d’entente no VI faisant partie intégrante de l’entente nationale aux fins de la présente entente.

7.1.2 De façon non limitative, les PARTIES conviennent :

7.1.2.1 Que les mécanismes de concertation prévus à l’Entente 

nationale s’appliquent en faisant les adaptations nécessaires dans le cas de toute difficulté liée à l’interprétation ou l’application de la présente entente;

7.1.2.2 Que la procédure d’arbitrage civil prévue à l’entente nationale s’applique en faisant les adaptations nécessaires dans les cas suivants : 

un litige concernant la résiliation par l’Établissement de l’entente particulière avant l’arrivée du terme ;

un litige causé par le fait que l’Établissement aurait empêché le renouvellement de l’entente particulière alors que l’application de cette entente donnait droit à un tel renouvellement; 

à l’exclusion de tout recours devant quelque tribunal et en respect des autres modalités prévues dans la lettre d’entente n° VI faisant partie intégrante de l’entente nationale. 

Photo by Mr. Ou

Le 9 juillet 2020, le CIUSSS Ouest transmet un rapport de visite faisant état d’un épisode de chaleur accablante à la Résidence au cours de la nuit du 8 juillet 2020, et ordonne la re-localisation de cinq usagers. 

Le 16 juillet 2020, le CIUSSS Ouest transmet à la Résidence un Avis d’enquête administrative portant sur l’entente particulière. 

Le 19 novembre 2020, l’entente particulière a pris fin et l’accord entre les parties n’a pas été renouvelé. 

Le 21 décembre 2020, le CIUSSS a rendu une décision («la Décision»), dont les conclusions se lisent ainsi : 

Conclusions

Considérant [la clause] 5.3.3 de l’entente particulière, nous vous avisons que nous considérons avoir eu des motifs sérieux afin de mettre fin à l’entente particulière.

Dans tous les cas, nous soulignons que considérant [les clauses] 5.1 et 5.2 de l’entente particulière, celle-ci a pris fin le 19 novembre 2020.

Le 22 décembre 2021, la Résidence fait une demande en pourvoi en contrôle judiciaire contre le CIUSSS Ouest sur la Décision. La Résidence soumet que la Décision est une décision administrative. Selon la Résidence, rien dans la législation, la réglementation habilitante, l’entente nationale, l’entente particulière ou le Cadre de référence contenant les orientations ministérielles, ne permet pas au CIUSSS Ouest de rendre la Décision. En effet, la Résidence allègue que le CIUSSS Ouest n’avait pas la compétence requise pour rendre la Décision – car le CIUSSS Ouest invoque des motifs sérieux de résiliation de l’entente particulière après l’arrivée de son terme. Pour la Résidence, ceci «et qui, de toute évidence, ne respecte pas les principes d’équité procédurale». La Résidence soumet que l’objet de son recours est de faire déclarer nulle la Décision au motif que le processus décisionnel ne respecte pas les principes d’équité procédurale. Il s’agit d’une pure question de droit. 

En réplique, le CIUSSS Ouest soumet que tout différend portant sur le respect de l’équité procédurale dans le cadre de la résiliation de l’entente particulière relève exclusivement de la compétence du tribunal d’arbitrage, et que l’entente particulière est un contrat de service régi par le droit privé. De l’avis du CIUSSS Ouest, le libellé des clauses compromissoires en question ne laisse aucun doute quant au renvoi à l’arbitrage des différends portant sur la détermination de la compétence de l’arbitre. 

Les questions en litige

1. La question concernant le processus décisionnel de la Décision, s’agit-elle d’une pure question de droit ?

2. La contestation de la Décision rendue par le CIUSSS Ouest, doit-elle être référée au tribunal d’arbitrage selon la clause 7 de l’entente particulière ?

L’analyse

1. Non. Elle s’agit d’une question mixte de droit et de fait qui implique plus qu’un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier. Le paragraphe 47 du jugement nous enseigne que la question à savoir si la Décision est une décision administrative non susceptible d’appel ou de contestation, ou une décision de nature privée qui découle d’un contrat de service régi par le droit privé tout comme la question de non-respect des principes d’équité procédurale par le CIUSSS Ouest – si en fait, il y en a une – est une question mixte de droit et de fait qui implique plus qu’un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier. 

La Cour suprême nous enseigne dans l’affaire Dell (Dell Computer Corporation c. Union des consommateurs, 2005 QCCA 570) que lorsqu’une question soulevant la compétence de l’arbitre nécessite l’examen ou l’administration d’une preuve factuelle, le tribunal devra normalement renvoyer l’affaire à l’arbitre. Le tribunal d’arbitrage dispose de façon générale des mêmes ressources et de la même expertise que les tribunaux judiciaires. Le paragraphe 85 de la décision de l’affaire Dell indique que quant aux questions mixtes de droit et de fait, le tribunal saisi de la demande de renvoi doit également privilégier le renvoi, sauf si les questions de fait n’impliquent qu’un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier. 

2. Oui. La validité de la clause compromissoire de l’entente particulière n’est pas contestée. Il n’y a également aucun risque que la contestation ne soit jamais résolue par l’arbitre. Les parties ont toutes les deux les moyens nécessaires afin de faire valoir adéquatement leurs droits devant le tribunal d’arbitrage. 

Le paragraphe 46 du jugement indique qu’en espèce, la Résidence soumet que la Décision et ses conclusions, qui de toute manière ne respectent pas les principes d’équité procédurale, créent des effets importants et néfastes à son égard quant à sa possibilité de soumissionner à des appels d’offres publics. En d’autres mots, la Résidence cherche un moyen de blanchir son nom. 

Conclusion : que faut-il retenir?

1. Si la Résidence cherche un moyen de blanchir son nom, la Résidence doit considérer de faire valoir ses droits dans un processus plus confidentiel et efficace. Il convient de rappeler certains avantages du processus d’arbitrage: l’audition est privée et confidentielle en principe; les règles de procédure peuvent être formelles ou informelles au gré des parties et de leurs avocats; il est souvent plus facile de limiter les coûts des procédures; les parties exercent plus de contrôle sur le processus et ont donc plus de chance d’obtenir un règlement; les parties sont libres de nommer le ou les arbitres.

2. Le jugement rendu par l’honorable Monsieur le juge Barin, j.c.s. nous rappelle que le troisième alinéa de l’article 1 C.p.c. fait obligation aux parties de considérer le recours aux modes privés de règlement des différends, par exemple l’arbitrage, pour lesquels elles font appel à l’assistance d’un tiers, même en l’absence d’une convention ou d’une clause d’arbitrage. 

(Attention : Le but de cet article est de fournir des informations juridiques générales. Il ne reflète pas l’état du droit de façon exhaustive et ne constitue pas un avis juridique sur les points de droit discutés. Afin de minimiser les risques juridiques pour vos affaires, vous devez demander l’avis juridique d’un avocat sur toute question particulière qui vous concerne. Merci pour votre attention.)