L’affaire Greyhound : La demande en garantie intentée contre Garda par Greyhound et son assureur doit être renvoyée à l’arbitrage – #73

Cet article vise à résumer le jugement rendu par l’honorable Monsieur le juge Stéphane Davignon, j.c.q. le 28 juin 2022 concernant une demande en exception déclinatoire de la défenderesse / défenderesse en garantie Garda fondée sur la clause compromissoire (art. 26) et la clause d’élection de for (art. 17) dans l’Entente cadre qui intervient entre Greyhound et Garda le 2 novembre 2010 (Travelers Insurance Company of Canada c. Greyhound Canada Transportation, 2022 QCCQ 4746). 

Devant les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt GreConet et de la Cour d’appel dans l’arrêt Société québécoise des infrastructures c. WSP Canada inc., 2016 QCCA 1756, Monsieur le juge Davignon, j.c.q. en conclut qu’il y a lieu de donner plein effet à la clause compromissoire prévue à l’Entente et partant, que la demande en garantie intentée contre Garda par Greyhound et son assureur doit être renvoyée à l’arbitrage (para. 28 de la Décision). 

Les faits pertinents

9227-9702 Québec Inc. («9227») est la locataire principale du rez-de-chausée et du  deuxième étage d’un immeuble situé au 1717, rue Berri à Montréal («Immeuble»).

Le 12 février 2016, 9227 sous-loue quatre espaces à Greyhound dans l’Immeuble. 

Le 2 novembre 2010, Greyhound retient les services de Groupe de sécurité Garda s.e.n.c. («Garda») pour assurer divers services de sécurité et notamment l’inspection de bagages de ses clients qui montent à bord de ses autobus.

Le 6 août 2018, une bombonne de gaz propane explose dans un local sous-loué par Greyhound et dans la foulée, une tête de gicleur s’en trouve activée, ce qui cause des dommages à l’Immeuble. 

9227 et son assureur Travelers Insurance Company of Canada («Travelers») imputent la responsabilité de ces dommages à Greyhound et Garda, à qui elle reproche d’avoir mal entreposé cette bombonne de gaz après l’avoir confisquée à un voyageur le jour précédent. 

Le 29 juillet 2021, une demande introductive d’instance est intentée contre Greyhound et Garda par 9227 et son assureur Travelers pour les dommages au montant de 56 823,33 $. 

Le 17 février 2022, 9227 et Travelers modifient leur demande introductive d’instance en y ajoutant une partie défenderesse, Chubb Life Insurance Company of Canada («Chubb»), qu’elles allèguent être l’assureur de Greyhound. 

Le 22 février 2022, Greyhound et Chubb exposent leurs moyens de défense. Elles soutiennent n’avoir commis aucune faute qui engage leur responsabilité. Elle allèguent que dans l’éventualité où il est déterminé que des dommages à l’Immeuble résultent de l’explosion d’une bombonne de gaz propane tels qu’allégués par 9227 et Travelers, alors il revient à Garda d’en assurer la responsabilité. Ainsi, simultanément au dépôt de leurs moyens de défense, elles intentent un recours en garantie contre Garda afin d’être indemnisées de toute condamnation qui pourrait découler de la demande principale.   

Garda soutient que la Cour du Québec n’a pas compétence pour l’entendre. Elles soutiennent en effet que les parties y ont prévu une élection de for (Art. 17), en plus d’une clause compromissoire (Art. 26). Elles demandent donc le renvoi de cette demande en garantie à l’arbitrage. 

Photo by Mr. Ou

La question en litige

Dans le présent dossier, la Cour du Québec, a-t-elle la compétence pour entendre le recours en garantie contre Garda ?

L’analyse

Non.

  1. L’article 3148 C.c.Q. prévoit que les autorités québécoises ne sont pas compétentes lorsque les parties ont choisi, par convention, de soumettre les litiges nés ou à naître en elles, à propos d’un rapport juridique déterminé, à une autorité étrangère ou à un arbitre, à moins que le défendeur n’ait reconnu la compétence des autorités québécoises. 

2. L’art. 17 de l’Entente prévoit qu’elle est tenue d’indemniser et prendre fait et cause pour Greyhound à l’égard de toutes réclamations, demandes ou procédures en justice dirigées contre elle: « SUPPLIER shall at all times indemnify, protect and hold FGA harmless from and against any and all claims (whether in tort, strict liability, Agreement or otherwise), demands, penalties, action, suits, fines, proceedings, expenses and liabilities for loss, damage, injury (including death), economy injury, and other liability of every nature to the extent arising out of, or resulting from, the negligent actions or omissions, willful or intentional misconduct, of SUPPLIER, its employees, officers, or agents relating to this Agreement or the Services performed pursuant Agreement. Upon receipt of notice from FGA of any claim or action brought against FGA in which indemnity may be sought against SUPPLIER pursuant to this section, SUPPLIER shall immediately defend such claim or action at its sole expense on behalf of FGA. (…)  ». 

L’art. 26 de l’Entente prévoit que ce sont les tribunaux de l’Ohio ou de l’Ontario qui sont compétents d’entendre tout litige qui découle de l’Entente, à l’exception des demandes inférieures à 300 000 $, qui seront dévolues à l’arbitrage. Il convient d’en reproduire le libellé :  « All disputes arising out of or relating to this Agreement, regardless of legal theory or factual origin, including without limitation any claim by FGA for temporary, preliminary or permanent injunctive relief shall be decided in the State and federal Courts located in Ohio or the province of Ontario, Canada, as applicable, and the parties consent and agree to exclusive jurisdiction and venue in those Courts. 

However, if either party claims or seeks monetary damages of less than $300,000 (US) for a matter arising out of or relating to this Agreement, such claim will be exclusively decided by a binding arbitration administered by JAMS or any national arbitration provider, or its legal successor, under its then existing expedited commercial arbitration rules. The arbitrator in such a dispute shall not have the jurisdiction or authority to award injunctive relief or damages in excess of $300,000 in any such proceeding. Notwithstanding any other provision of this Agreement, enforcement of this arbitration clause and any resulting award shall be governed by the Federal Arbitration Act. »

3. Monsieur le juge Davignon j.c.q. est d’avis que le Tribunal ne peut ignorer les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt GreCon. Cet arrêt nous enseigne que l’art. 3148 C.c.Q. fait une place majeure au principe de l’autonomie de la volonté des parties en leur conférant la possibilité de déroger conventionnellement à la compétence des autorités québécoises. En outre, il y a lieu de respecter leur volonté de soustraire un litige à la compétence des autorités d’une juridiction afin de favoriser une stabilité et une prévisibilité des opérations commerciales. Art. 622 du C.p.c. prévoit que les questions au sujet desquelles les parties ont conclu une convention d’arbitrage ne peuvent être portées devant un tribunal de l’ordre judiciaire, alors même qu’il serait compétent pour décider de l’objet du différend, à moins que la loi de le prévoie. 

4. En l’espèce, il se dégage de la lecture de l’Entente que les parties ont voulu assurer une certaine cohérence et stabilité dans la résolution de leurs différends, en établissant tout d’abord à l’article 14 de l’Entente que les lois applicables seraient celles de l’état de l’Ontario pour tous les services rendus sur le territoire du Canada, puis en conférant la compétence aux à l’arbitre en cas de litige d’un valeur inférieure à 300 000 $. 

5. Ensuite, Greyhound soutient qu’il ne soit pas souhaitable de faire le débat devant deux forums, notamment en raison du risque de dédoublement de la preuve. Dans l’arrêt Société québécoise des infrastructures c. WSP Canada inc., 2016 QCCA 1756, la Cour d’appel ne réforme pas un jugement de la Cour supérieure dont le résultat pratique en est qu’un même litige sera l’objet d’un débat devant deux forums : « Il est vrai, tel que Pomerleau le plaide, qu’en appliquant la clause compromissoire, Pomerleau devra faire le débat devant deux tribunaux, soit devant la Cour supérieure en ce qui a trait à l’action principale, et le tribunal d’arbitrage en ce qui a trait au litige couvert par l’appel en garantie…Le juge de première instance s’est bien dirige en droit en référence aux principes établis par la Cour suprême dans l’arrêt GreCon en 2005. Par ailleurs, le fait pour les intimées d’intervenir de façon conservatoire pour s’assurer, de concert avec les appelantes, que la réclamation de EBC soit questionnée et validée à tous égards, va de soi et ne constitue pas une reconnaissance de la compétence de la Cour supérieure en regard de ce dont sera saisi le tribunal d’arbitrage. »

6. Devant les enseignements mentionnés ci-dessus, le Tribunal décline compétence pour entendre la demande en garantie du 22 février 2022 intentée par les défenderesses/demanderesses en garantie Greyhound et Chubb contre la défenderesse/défenderesse en garantie Groupe de sécurité Garda s.e.n.c.

(Attention : Le but de cet article est de fournir des informations juridiques générales. Il ne reflète pas l’état du droit de façon exhaustive et ne constitue pas un avis juridique sur les points de droit discutés. Afin de minimiser les risques juridiques pour vos affaires, vous devez demander l’avis juridique d’un avocat sur toute question particulière qui vous concerne. Merci pour votre attention.)