L’employeur est responsable des actes discriminatoires posés par son employé — # 62

Le 16 juillet 2021, l’honorable Monsieur le juge Doris Thibault du Tribunal des droits de la personne accueille partiellement la demande en dommages moraux et dommages punitifs pour des propos discriminatoires fondés sur l’origine ethnique à l’endroit du demandeur posés par l’employé du défendeur. Le Tribunal condamne solidairement l’employé et l’employeur (« les défendeurs ») à verser le demandeur 3 000 $ à titre de dommages moraux. En outre, le Tribunal condamne l’employé à verser 800 $ au demandeur à titre de dommages punitifs. Cet article vise à résumer les faits et l’analyse du jugement sur Pena c. Poirier2021 QCTDP 29 (CanLII).

Les faits pertinents

Le demandeur est d’origine salvadorienne. Il est arrivé au Québec en 1986. Ses trois enfants sont nés au Québec. Le demandeur fait des livraisons pour la compagnie l’Entrepôt de la toiture.

Le 26 août 2019, le demandeur livre des bardeaux suivant la commande du défendeur Toitures Poirier & Fils Inc. Le demandeur arrive avec la livraison vers 8 h 30 alors qu’elle est prévue pour 9 h.

L’employé de Toitures Poirier & Fils Inc. n’est pas content satisfait que le demandeur est arrivé avant l’heure. En plus, il n’est pas satisfait que la facture qu’il est donnéea reçue est endommagée. Le demandeur suggère que Toitures Poirier & Fils Inc. peut appeler la compagnie l’Entrepôt de la toiture pour avoir obtenir un remplacement de la facture.

L’employé de Toitures Poirier & Fils Inc. devient furieux rétorque et commence à lui faire des reproches : « retourne au Mexique. Mexicain câlisse de tabarnak ».

Le demandeur raconte à sa superviseure ce qui lui est arrivé dès son retour au bureau. Cette dernière communique avec le président de l’entreprise qui lui dit qu’il est désolé, que son employé a eu une « mauvaise journée ».

Le demandeur témoigne que cet événement le perturbe jour après jour. Depuis cet événement, il se sent jugé, insulté, sa dignité est atteinte. Il est troublé par ces propos, particulièrement par « retourne dans ton pays », car il croyait, jusqu’à ce moment, qu’il était bien accepté au Québec. Depuis, il ne livre plus de matériaux sur les chantiers de Toitures (Voir paragr. 10 de la décision).

L’employé du défendeur témoigne qu’il ne se souvient pas des propos exacts qu’il a tenus. Il explique qu’il était très en colère en raison du non-respect de l’horaire de livraison qui s’ajoutait au fait que le demandeur a failli lui écraser les jambes en reculant avec son camion pour décharger la livraison de bardeaux.

Les questions en litige

a) L’employé a-t-il tenu des propos discriminatoires envers le demandeur?

b) L’employeur est-il responsable des actes posés par son employé?

c) Quelles sont les réparations auxquelles le demandeur a droit?

L’analyse

a) L’employé a-t-il tenu des propos discriminatoires envers le demandeur ?

Oui. L’employé du défendeur a tenu des propos discriminatoires envers le demandeur.

Premièrement, comme le Tribunal l’a affirmé à plusieurs reprises, le fait d’être en colère contre une personne ne peut justifier un comportement discriminatoire (paragr. 27 de la Décision et paragr. 56 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Blais et un autre) c. Tardif, 2019 QCTDP 20 (CanLII)).

Il convient de rappeler que l’honorable Madame la juge River écrit dans l’affaire Remorquage Sud-Ouest : « [86]   Bien que la colère fasse partie de la gamme des sentiments propres à la nature humaine et sans nier qu’une personne puisse éprouver un sentiment de colère dans certaines circonstances, le Tribunal ne peut concevoir que l’expression de cette colère puisse justifier quelque comportement discriminatoire que ce soit non plus qu’elle puisse constituer un facteur atténuant au chapitre des réparations. […] [Elle] aurait plutôt un effet aggravant lorsque l’on se place du point de vue de la victime. » (Soulignement de l’honorable Monsieur le juge Doris Thibault)

Deuxièmement, les dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12 applicables à la résolution du présent litige sont les suivantes :

« 4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs. »

Il convient de rappeler que la Cour suprême du Canada nous enseigne dans l’affaire Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 (CanLII), [2015] 2 RCS 789 que la partie demanderesse doit faire la preuve des éléments suivants afin d’établir une atteinte au droit à l’égalité au sens de l’article 10 de la Charte : « 1) une distinction, exclusion ou préférence; 2) fondée sur l’un des motifs énumérés au premier alinéa de l’article 10 de la Charte; 3) et qui a pour effet de détruire ou de compromettre le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne. »

Dans le cas présent, la phrase de l’employé du défendeur « retourne au Mexique. Mexicain câlisse de tabarnak. » réfère à l’origine ethnique ou nationale du demandeur. Le Tribunal est d’avis que ces propos sont discriminatoires en raison de leur gravité tant objective que subjective et ils ont porté atteinte, de manière discriminatoire, au droit du demandeur à la sauvegarde de sa dignité.

b) L’employeur est-il responsable des actes posés par son employé ?

Oui. La disposition applicable à la résolution de la présente question en litige est la suivante :

« Art. 1463 C.c.Q. Le commettant est tenu de réparer le préjudice causé par la faute de ses préposés dans l’exécution de leurs fonctions; il conserve néanmoins ses recours contre eux. »

De plus, le Tribunal a énoncé les principes établis en matière de responsabilité de l’employeur dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Malenfant) c. Normandin, 2011 QCTPD 6. En raison du silence de la Charte, le droit commun s’applique à titre de droit supplétif en ce qui concerne la responsabilité d’un employeur pour les atteintes portées, par ses employés, aux droits protégés par celle-ci (Voir paragr. 32 de la Décision).

Dans le cas présent, le Tribunal conclut que les propos de l’employé du Toitures Poirier & Fils Inc. a été proférés alors qu’il était le vice-président de l’entreprise dans le cadre de l’exécution de ses fonctions. Donc, la responsabilité de Toitures Poirier & Fils Inc. est engagée envers le demandeur.

c) Quelles sont les réparations auxquelles le demandeur a droit?

i. Les dommages moraux

Il faut rappeler que l’évaluation du préjudice moral découlant des propos discriminatoires et de leurs conséquences constitue une tâche délicate et forcément discrétionnaire.

Dans le cas présent, le Tribunal fixe à 3 000 $ le montant des dommages moraux. Les défendeurs sont tenus solidairement responsables du paiement de cette somme en vertu de l’article 1526 C.c.Q.

ii. Les dommages punitifs

La Cour suprême du Canada nous enseigne dans l’affaire Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, 1996 CanLII 172 (CSC), [1996] 3 RCS 211 que la Tribunal peut octroyer les dommages punitifs dans les conditions suivantes :

« […] il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l’art. 49 de la Charte lorsque l’auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l’intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère. »

Dans le cas présent, le Tribunal est d’avis que la preuve ne permet pas de conclure que le président de Toitures Poirier & Fils Inc. ait cautionné, de quelque façon que ce soit, les propos discriminatoires de l’employé envers le demandeur. En conséquence, le Tribunal condamne uniquement l’employé à verser 800 $ au demandeur à titre de dommages punitifs.

Que faut-il retenir?

Il convient de noter que l’atteinte à la dignité causée par des actes discriminatoires doit revêtir un certain degré de gravité pour donner ouverture à une réparation en vertu de la Charte. « Il n’y a pas chaque fois une faute qui a pour effet de détruire ou de compromettre la sauvegarde du droit fondamental à la dignité protégé par la Charte … Il faut une atteinte d’une réelle gravité. Le seuil est élevé. Autrement, on banalise la Charte et on multiplie inconsidérément les poursuites en justice pour obtenir de gros sous et non pour sauvegarder les droits fondamentaux. » (Voir Calego International inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2013 QCCA 924).

在我们的日常工作和生活中,我们难免会听到一些非常刺耳的种族歧视的言论。这篇文章总结了一个加拿大魁北克人权法庭于今年七月中旬作出的判决。该案例讲述了一位来自萨尔瓦多共和国的第一代移民送货员在送货过程中遭受客户带有种族歧视色彩的谩骂的经历。经过缜密而具有说服力的法理分析后,加拿大魁北克人权法院判决要求被告赔偿这位来自萨尔瓦多共和国的送货员小哥的精神损失费及其他惩罚性赔偿金总计3800加币。值得注意的是,该判决明确强调,如果歧视行为是在某员工执行工作任务过程中作出,该员工的雇主将承担相应的连带赔偿责任。

(Attention : Le but de cet article est de fournir des informations juridiques générales. Il ne reflète pas l’état du droit de façon exhaustive et ne constitue pas un avis juridique sur les points de droit discutés. Afin de minimiser les risques juridiques pour vos affaires, vous devez demander l’avis juridique d’un avocat sur toute question particulière qui vous concerne. Merci pour votre attention. )