Le partage inégal du patrimoine familial pourrait s’appliquer dans la situation où un époux a violé son obligation fondamentale de contribuer à la formation et au maintien du patrimoine familial – #56

Dans l’arrêt Droit de la famille – 21594, 2021 QCCS 1396, l’honorable Danielle Turcotte ordonne un partage inégal de la valeur nette de la résidence familiale parce que l’époux a violé son obligation fondamentale de contribuer à la formation et au maintien du patrimoine familial en omettant de contribuer aux charges du mariage à proportion de sa faculté respective durant le mariage.

Les faits pertinents

En 1993, les parties célèbrent leur mariage au Québec. Les époux adoptent ultérieurement le régime de la séparation de biens.

Deux filles naissent de cette union. Elles sont étudiantes au niveau universitaire.

Au cours de l’année 2014, l’entreprise dont de Monsieur est le fondateur ne peut pas sortir une impasse qui conduit à sa fermeture.

Cette déconfiture ébranle considérablement l’époux. Au mois d’octobre, Monsieur quitte sa famille sans prévenir quiconque. Il se réfugie chez ses parents, au Mexique.

Ni Madame ni les enfants n’ont des nouvelles de Monsieur. À l’époque, les filles sont alors âgées de 14 et 17 ans.

Madame devait se débrouiller avec les charges de la famille en empruntant de l’argent auprès de son beau-frère pour éviter de perdre la résidence familiale.

Au printemps 2015, Monsieur réapparaît. Madame et les filles ne l’ont pas accueilli à nouveau.

Au printemps 2016, Madame est informée qu’un vice de construction majeur affecte la résidence familiale. Madame en avise Monsieur qui ne réagit pas. Madame devait solliciter son beau-frère pour l’aide financière puisque les travaux nécessaires à la remise en état sont de l’ordre de 200 000 $.

Madame enclenche le processus de divorce au Québec à l’automne 2016.

Les réparations apportées à la résidence perdurent et celle-ci n’a pu être mise en vente qu’en 2018. Une offre d’achat a récemment été acceptée au prix de 1 260 000 $ et la passation de titre aura lieu le 20 avril prochain.

Madame demande un partage inégal de la valeur nette de la résidence familiale.

La question en litige

La valeur nette de la résidence familiale doit-elle être partagée de façon inégale?

L’analyse

1. Lors de la vie commune des époux, ils avaient convenu que Madame paierait l’épicerie et les dépenses courantes de la famille tandis que les obligations de Monsieur seraient d’assumer les remboursements hypothécaires, les impôts fonciers, les taxes scolaires, l’électricité et les frais de scolarité.

Par contre, depuis 2014, Monsieur s’est complètement déresponsabilisé de tout ce fardeau qu’il a laissé sur les épaules de Madame à cause de la déconfiture de son entreprise.

2. L’art. 396 C.c.Q. prévoit que l’époux devait contribuer aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives. Faute par lui de ce faire, Madame n’a d’autre alternative que de s’endetter pour maintenir le patrimoine familial.

3. L’art. 422 C.c.Q. prévoit que le tribunal peut, sur demande, déroger au principe du partage égal du patrimoine familial lorsqu’il en résulterait une injustice compte tenu, notamment, de la brève durée du mariage, de la dilapidation de certains biens par l’un des époux ou encore de la mauvaise foi de l’un d’eux. L’honorable Christian J. Brossard nous enseigne dans l’arrêt Droit de la famille – 152345, 2015 QCCS 4387 que le mot « notamment » de l’art. 422 C.c.Q. indique qu’il s’agit d’une liste non exhaustive et on peut penser à d’autres situations où un partage inégal pourrait s’imposer, par exemple le désintéressement démontré par un époux (paragr. 114 et 115 Droit de la famille – 152345, 2015 QCCS 4387). Dans le présent cas, Monsieur, en laissant derrière lui sa famille au Québec en 2014, a violé son obligation fondamentale de contribuer à la formation et au maintien du patrimoine familial.

4. Il convient de rappeler que la Cour suprême du Canada nous enseigne dans l’arrêt M.T. c. J.-Y.T., 2008 CSC 50 que l’injustice à laquelle réfère l’article 422 C.c.Q. doit être reliée au manquement économique d’un époux de contribuer à l’entreprise commune qu’est le mariage:

« [28] Les tribunaux doivent examiner la conduite des parties et l’importance de leur contribution dans la perspective de leur impact économique sur le patrimoine familial, non de leur effet sur le bonheur de la vie commune, bien que les mêmes actions puissent affecter l’ensemble des aspects de l’union conjugale. Lorsqu’on les invoque comme source d’injustice au sens de l’art. 422, les actes préjudiciables ou répréhensibles, ou fautes des conjoints, doivent conserver un lien clair avec le sort du patrimoine familial. Ils doivent présenter en quelque sorte le caractère d’une faute économique (Kasirer, p. 593).

[29] Ainsi, les causes d’injustice imputées à un conjoint doivent être analysées dans la perspective de leur impact sur le patrimoine, y compris dans les cas où il s’agit de reproches à propos de la conduite d’un conjoint, qui doivent correspondre à des fautes économiques rattachées à l’exécution des obligations de contribution. Dans cette perspective, l’application de l’art. 422 par la Cour d’appel ne respectait pas les limites imposées par le législateur au pouvoir judiciaire d’ordonner un partage inégal. Cette conclusion ressort de l’étude des motifs retenus par la Cour d’appel pour exclure les droits à pension de l’intimé du partage du patrimoine familial. »

5. Dans le présent cas, Monsieur a omis pendant deux ans de participer à la formation du patrimoine familial. Il y a lieu de tenir compte de ce dont Monsieur est redevable, selon l’entente quant aux contributions aux charges du mariage, pendant sa durée. Donc, le tribunal ordonne un partage inégal de la valeur nette de la résidence familiale.

Que faut-il retenir?

1. Le mariage entraîne la création d’une forme d’union économique à laquelle les époux s’obligent à contribuer de leur mieux. L’article 396 C.c.Q. impose clairement aux conjoints une obligation légale de contribuer aux charges du mariage « à proportion de leurs facultés respectives ».

2. L’art. 422 C.c.Q. énonce trois situations pouvant rendre injuste le partage égal du patrimoine familial. Par contre, il s’agit d’une liste non exhaustive.

(Attention : Le but de cet article est de fournir des informations juridiques générales. Il ne reflète pas l’état du droit de façon exhaustive et ne constitue pas un avis juridique sur les points de droit discutés. Afin de minimiser les risques juridiques pour vos affaires, vous devez demander l’avis juridique d’un avocat sur toute question particulière qui vous concerne. Merci pour votre attention.)