L’affaire Caron c. Triviom : La procédure de nomination d’arbitre prévue dans la clause d’arbitrage est contraire à l’ordre public et nulle, mais le reste de la clause d’arbitrage demeure valide – #44

Les faits pertinents (Caron c. 7834101 Canada inc. (Triviom à Charlemagne ), 2020 QCCS 2859)

En janvier 2015, dans l’affaire Saindon c. Triviom (Saindon c. 7834101 Canada Inc., 2015 QCCQ 682), la Cour du Québec rejette une demande d’exception déclinatoire de la défenderesse Triviom parce que la clause d’arbitrage en litige est rédigée à l’avantage de Triviom en ce sens qu’elle contrôle l’identité et la qualité des trois arbitres possibles à solutionner le conflit. La Cour du Québec conclut que la procédure de nomination de l’arbitre est nulle parce qu’elle est contraire à l’article 2641 C.c.Q.

Triviom ne porte pas cette décision de la Cour du Québec en appel.

Le 14 avril 2017, malgré la décision Saindon, Triviom et Caron concluent le Contrat préliminaire de vente de condominium qui inclut la même clause d’arbitrage. Ce contrat a pour objet la construction d’une unité de condominium, livrable en novembre 2017. La clause 5.10 se lit comme suit:

            « 5.10 Résolution des différends – S’il survient un différend se rapportant à l’interprétation, au respect ou à un manquement au présent contrat ou à sa fin ou résiliation, les parties doivent d’abord se rencontrer et négocier de bonne foi […] Si le différend ne peut être résolu par voie de médiation dans les 15 jours à compter du début du processus de médiation, il doit alors être résolu de façon définitive par la voie d’un arbitrage, à l’exclusion des tribunaux de droit commun. L’arbitre devra être déterminé d’un commun accord entre les parties. À défaut d’entente sur l’identité de l’arbitre dans les 10 jours suivant Ia demande d’une partie de référer le différent à l’arbitrage, l’Entrepreneur pourra suggérer l’identité de 3 arbitres et le Promettant-acheteur devra choisir un arbitre parmi ceux-ci. Sous réserve que Ie différend sera tranché par un arbitre unique, l’arbitrage se déroulera conformément aux dispositions de des articles 940 et suivants du Code de procédure civil du Québec. Toute décision de l’arbitre sera finale avec effet obligatoire entre les parties, est immédiatement exécutoire sujet à son homologation par le tribunal est strictement confidentiel, et ne peut pas être divulgué à des tiers à moins qu’une telle divulgation ne soit requise par la loi pour fins d’exécution de Ia décision. Les frais de l’arbitrage y compris les honoraires professionnels et les débours des parties sont attribués par l’arbitre de la manière qu’il juge à propos dans les circonstances.» [Soulignement ajouté]

Depuis octobre 2017, Caron devait habiter une autre unité de condominium prêtée gratuitement par Triviom parce que l’unité de condominium n’est toujours pas livrée à ce jour.

En 2020, Triviom exige que Caron quitte le condominium ou paie un loyer mensuel de 2 200 $.

Le 23 juillet 220, Caron intente l’action contre Triviom. Caron demande de pouvoir demeurer dans le condominium prêté, sans frais; qu’il soit ordonné à Triviom de compléter les travaux pour l’unité achetée; et aussi de passer titre à Caron lorsque les travaux seront complétés.   

Le 4 aôut 2020, Triviom demande le renvoi du dossier à un tribunal d’arbitrage en vertu de la clause 5.10 du contrat préliminaire de vente de condominium liant les parties (Art. 622 C.p.c. ).

Le 17 août 2020, Caron modifie sa demande introductive d’instance afin de répondre à la demande d’exception déclinatoire. Caron considère que la demande de Triviom constitue un abus de procédure (Art. 51 et ss. C.p.c.) parce que la validité de la clause 5.10 est déjà réglée par la décision Saindon par la Cour du Québec en 2015.

Triviom objecte qu’elle n’abuse pas de la procédure parce que la décision Saindon ne traite pas de l’argument de divisibilité de la clause d’arbitrage.

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La question en litige

L’exception déclinatoire (Art. 167 C.p.c.) de Triviom est-elle un abus de procédure?

L’analyse

1.Dans l’arrêtConstruction S.Y.L. Tremblay inc. c. Agence du revenu du Québec, la Cour d’appel nous enseigne que même lorsque les conditions de la préclusion (à savoir : l’identité de parties, l’identité d’objet, l’identité de cause) ne sont pas réunies, il est possible au tribunal de refuser de se saisir d’une question déjà décidée. Il existe des situations où la remise en cause d’une décision peut même servir l’intégrité du système judiciaire plutôt que lui porter préjudice (pars. 21 et 28, Construction S.Y.L. Tremblay inc. c. Agence du revenu du Québec 2018 QCCA 552).

2. En l’espèce, les trois conditions de la préclusion ne sont pas réunies. Caron doit convaincre le Tribunal que Triviom tente de débatre à nouveau d’une question déjà tranchée dans la décision Saindon et qu’il est abusif de refaire le même débat en l’instance. Dans le présent cas, la Cour supérieure n’est pas convaincue qu’il s’agit d’une question déjà tranchée. Dans le présent dossier, Triviom avoue que la clause 5.10 viole l’article 2641 C.c.Q. Triviom plaide toutefois que cela ne rend pas la clause d’arbitrage nulle dans son entièreté selon l’art. 1438 C.c.Q. L’art. 1438 C.c.Q. se lit comme suit :

Art. 1438 La clause qui est nulle ne rend pas le contrat invalide quant au reste, à moins qu’il n’apparaisse que le contrat doive être considéré comme un tout indivisible.

Il en est de même de la clause qui est sans effet ou réputée non écrite.

3. Dans l’arrêt Transport North American Express Inc. c. New Solutions Financial Corp., la Cour suprême nous enseigne que d’après le test du trait de crayon bleu, « la divisibilité peut être appliquée uniquement lorsque le juge peut retrancher, en la raturant, la partie du contrat qu’on entend supprimer, tout en conservant les parties non viciées par l’illégalité, et ce sans que ne soit affecté le sens du reste du document. » (Transport North American Express Inc. v. New Solutions Financial Corp., [2004] 1 S.C.R. 249) En d’autres termes, la divisibilité peut être appliquée lorsque la clause illégale doit constituer un engagement distinct qui ne soit pas partie de l’objet et de l’essence du contrat.

En l’espèce, il s’agit de rayer « au crayon bleu » la phrase «À défaut d’entente sur l’identité de l’arbitre dans les 10 jours suivant Ia demande d’une partie de référer le différent à l’arbitrage, l’Entrepreneur pourra suggérer l’identité de 3 arbitres et le Promettant-acheteur devra choisir un arbitre parmi ceux-ci.». La Cour est convaincue que cette phrase est retranchable et que le reste de la clause d’arbitrage est conforme tant à l’ordre public qu’à l’intention commune et l’intérêt des parties au moment de la conclusion du contrat.

Comme la procédure de nomination d’arbitre prévue dans la clause d’arbitrage est déclarée nulle, cet exercice entraine l’application de plein droit des articles 624 et 625 C.p.c.

Ainsi, vu que l’argument de divisibilité de la clause d’arbitrage n’était pas soulevé dans l’affaire Saindon c. Triviom, le Tribunal rejette l’argument de Caron quant à l’application de la théorie de l’abus de droit. Le Tribunal accueille l’exception déclinatoire de la défenderesse. Le Tribunal ordonne aux parties de convenir de la nomination d’un arbitre selon l’art. 624 C.p.c. Le Tribunal déclare que l’arbitre a compétence exclusive sur le litige mentionné ci-dessus entre Caron et Triviom.

Conclusion : que faut-il retenir?

1. The “Blue-pencil” severance can only be resorted to in rare cases where the part being removed is trivial, and not part of the main purport of the restrictive covenant.

2. The passage in the arbitration clause placing one party in a privileged position with respect to the designation of the arbitrators is null.  

3. In principle, when a judicial decision decides a matter definitively, the same matter should not be called into question in another judicial instance if three conditions are met: (1) the same question has been decided in a previous proceeding; (2) the previous court decision is final; and (3) the parties are the same in both proceedings. When the three conditions are not satisfied, there exist certain situations where challenging a previous judicial decision on similar matter may even serve the integrity of the justice system rather than prejudice it.

(Attention : Le but de cet article est de fournir des informations juridiques générales. Il ne reflète pas l’état du droit de façon exhaustive et ne constitue pas un avis juridique sur les points de droit discutés. Afin de minimiser les risques juridiques pour vos affaires, vous devez demander l’avis juridique d’un avocat sur toute question particulière qui vous concerne. Merci pour votre attention. )