Au Québec, lorsqu’il s’agit d’apprécier la validité de la sentence arbitrale, le tribunal va rechercher si la sentence elle-même contrevient à des dispositions d’ordre public. – #54

Dans l’arrêt Perreault c. Groupe Jonathan Benoît, 2021 QCCS 1350, l’honorable Peter Kalichman rejette la demande en annulation de la sentence arbitrale et accueille la Demande d’homologation. Cet arrêt nous rappelle que pour annuler une sentence arbitrale ou s’opposer à son homologation au motif qu’elle est contraire aux dispositions d’ordre public, une partie doit faire plus que simplement démontrer que l’arbitre a commis une erreur dans son application des règles d’ordre public. Dans l’arrêt Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., 2003 CSC 17, la Cour suprême nous enseigne que la partie doit démontrer que la sentence arbitrale elle-même est incompatible avec l’ordre public.

Cet article vise à résumer l’analyse de l’honorable Peter Kalichman dans l’arrêt Perreault c. Groupe Jonathan Benoît, 2021 QCCS 1350.

Les faits pertinents

Le litige découle d’un conflit entre M. Perreault, le demandeur et les mis en cause, M. Benoît et M. Lok, sur l’interprétation de deux conventions unanimes entre actionnaires en relation avec leur exploitation d’une pharmacie (« Les Conventions »).

Les Conventions régissent les relations des actionnaires des deux compagnies Groupe Jonathan Benoît et Sam Ath Lok inc. (Groupe) et Jonathan Benoît, Sam Ath Lok Pharmaciens inc. (Pharma) (conjointement « Les Compagnies »).

Les Conventions prévoient que dans l’éventualité où les parties ne s’entendent pas sur l’interprétation des dispositions, elles s’engagent à soumettre son différend à un arbitre « à l’exclusion de tout recours devant les tribunaux de droit commun ».

Le demandeur, M. Perreault, envoie un avis d’arbitrage aux autres parties pour rechercher le rachat de ses actions dans les Compagnies (« Les Actions ») et le remboursement d’un prêt de 250 000 $ (« Le Prêt »).

L’Arbitre ordonne aux Compagnies de racheter les Actions de M. Perreault.

M. Benoît, M. Lok et les Compagnies (« Défenderesses ») contestent l’homologation de la Sentence arbitrale. Elles soutiennent que les conclusions de la Sentence arbitrale contreviennent aux dispositions d’ordre public du Code de déontologie des pharmaciens, RLRQ c P-10, r 7 (« Le Code ») parce qu’elle permet à M. Perreault de participer aux bénéfices provenant de la vente de médicaments malgré le fait qu’il ne soit pas pharmacien. Elles demandent qu’il y a lieu d’annuler la Sentence arbitrale.

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La question en litige

La Sentence arbitrale est-elle contraire aux dispositions d’ordre ?

L’analyse

1. L’art. 645 Code de procédure civile, RLRQ c C-25.01 (« C.p.c. ») prévoit que le tribunal saisi d’une demande en homologation ne peut examiner le fond du différend. Cet arrêt nous appelle que la justification de cette disposition est : « les parties ont choisi de soumettre leur différend à l’arbitrage à l’exclusion des tribunaux » (para. 12 de Perreault c. Groupe Jonathan Benoît, 2021 QCCS 1350). Donc, les tribunaux doivent éviter de refaire le procès dans le cadre de la demande d’homologation.

2. Les seuls motifs permettant à un tribunal de refuser d’homologuer une sentence arbitrale sont ceux prévus à l’article 646 C.p.c.

« 646. Le tribunal ne peut refuser l’homologation d’une sentence arbitrale ou d’une mesure provisionnelle ou de sauvegarde que si l’un des cas suivants est établi:

1° une partie n’avait pas la capacité pour conclure la convention d’arbitrage ;

2° la convention d’arbitrage est invalide en vertu de la loi choisie par les parties ou, à défaut d’indication à cet égard, en vertu de la loi du Québec ;

3° le mode de nomination d’un arbitre ou la procédure arbitrale applicable n’a pas été respecté ;

4° la partie contre laquelle la sentence ou la mesure est invoquée n’a pas été dûment informée de la désignation d’un arbitre ou de la procédure arbitrale, ou il lui a été impossible pour une autre raison de faire valoir ses moyens ;

la sentence porte sur un différend qui n’était pas visé dans la convention d’arbitrage ou n’entrait pas dans ses prévisions, ou encore elle contient une conclusion qui en dépasse les termes, auquel cas, si celle-ci peut être dissociée des autres, elle seule n’est pas homologuée.

Le tribunal ne peut refuser d’office l’homologation que s’il constate que l’objet du différend ne peut être réglé par arbitrage au Québec ou que la sentence ou la mesure est contraire à l’ordre public. »

Il convient de rappeler qu’au Québec, la demande d’annulation de la sentence arbitrale est le seul moyen de se pourvoir contre celle-ci. Les motifs permettant à un tribunal d’annuler une sentence sont celles prévues en matière d’homologation avec les adaptations nécessaires (Art. 648 C.p.c.).

3. L’argument des Défenderesses concernant l’ordre public se fond sur l’art. 49 du Code. L’art. 49 interdit aux pharmaciens de partager les profits provenant de la vente de médicaments ou de leurs honoraires avec toute personne qui n’est pas elle-même pharmacien. Par contre, le Code prévoit qu’un pharmacien peut attribuer ses revenus à une société au sein de laquelle il pratique.

Selon les Défenderesses, la Sentence arbitrale contrevient au Code et, par conséquent, à l’ordre public, en rendant la sentence arbitrale qui entraîne un partage des bénéfices avec Groupe et avec M. Perreault lui-même. Selon eux, M. Perreault aurait obtenu le titre de pharmacien par fraude. Donc, la sentence permettant le rachat des Actions de M. Perreault contrevient à l’ordre public. À cet effet, elles font référence à deux décisions du Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec.

4. L’honorable Peter Kalichman souligne que les arguments soulevés par les Défenderesses attaquent l’interprétation de l’Arbitre d’une loi d’ordre public et son applicable aux faits. Pour que le tribunal puisse déterminer si l’Arbitre a commis une erreur dans son application du Code, le Tribunal serait tenu de procéder à un examen du fond de la Sentence arbitrale, ce qui lui est strictement interdit par l’art. 645 C.p.c. Quoi qu’il en soit, les mêmes arguments ont été soulevés devant l’Arbitre. L’Arbitre a déterminé que malgré les décisions du Conseil, M. Perreault avait le statut nécessaire pour racheter ses actions en vertu des Conventions. En l’espèce, la Sentence arbitrale ordonne que les actions d’une partie soient rachetées par une autre partie. Il n’y a rien dans ce résultat qui porte atteinte aux principes fondamentaux de l’ordre public.

Que faut-il retenir?

Il convient de reproduire le paragraphe concernant la validité d’une sentence arbitrale de l’arrêt de la Cour suprême du Canada Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., 2003 CSC 17.

paragr. 54 « L’ordre public intervient principalement lorsqu’il s’agit d’apprécier la validité de la sentence arbitrale. Les limites de son rôle doivent cependant être correctement définies. D’abord, comme nous l’avons vu, les arbitres sont fréquemment tenus d’examiner des questions et des dispositions législatives d’ordre public pour régler le différend dont ils ont été saisis. Ce seul examen ne rend pas la décision annulable. L’article 946.5 C.p.c., RLRQ c C-25 (Art. 646 C.p.c., RLRQ c C-25.01) exige plutôt d’examiner la sentence dans son ensemble, afin d’apprécier son résultat. Le tribunal doit rechercher si la décision elle-même, dans son dispositif, contrevient à des dispositions législatives ou à des principes qui relèvent de l’ordre public. Le Code de procédure civile s’intéresse davantage ici à la conformité du dispositif de la décision ou de la solution qu’elle retient qu’à celle de l’exactitude des motifs particuliers qui la justifient. Une erreur d’interprétation d’une disposition législative à caractère impératif ne permettrait pas l’annulation de la sentence pour violation de l’ordre public, à moins que le résultat de l’arbitrage se révèle inconciliable avec les principes fondamentaux pertinents de l’ordre public. Cette solution, conforme au langage de l’art. 946.5 C.p.c., RLRQ c C-25 (Art. 646 C.p.c., RLRQ c C-25.01), correspond à celle que retient le droit de plusieurs États, où l’arbitrage est régi par des règles juridiques analogues à celles que connaît maintenant le droit du Québec. La jurisprudence de ces pays limite l’examen de l’ordre public substantiel à celui du résultat de la sentence par rapport à l’ordre public. (Voir : E. Gaillard et J. Savage, dir., Fouchard, Gaillard, Goldman on International Commercial Arbitration [1999], p. 955-956, no 1649 ; J.-B. Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, t. 309 [1999], p. 538-555, en particulier p. 539 et 543 ; Société Seagram France Distribution c. Société GE Massenez, Cass. civ. 2e, 3 mai 2001, Rev. arb. 2001.4.805, note Yves Derains.)  Enfin, lors de l’examen de la validité de la sentence, s’impose le respect de la règle claire de l’art. 946.2 C.p.c., RLRQ c C-25 (Art. 645 C.p.c., RLRQ c C-25.01), qui interdit l’examen du fond du différend. L’application de la notion si flexible et évolutive de l’ordre public doit s’effectuer dans le respect de ces principes fondamentaux, lorsqu’il s’agit d’apprécier la validité d’une sentence arbitrale. »

(Attention : Le but de cet article est de fournir des informations juridiques générales. Il ne reflète pas l’état du droit de façon exhaustive et ne constitue pas un avis juridique sur les points de droit discutés. Afin de minimiser les risques juridiques pour vos affaires, vous devez demander l’avis juridique d’un avocat sur toute question particulière qui vous concerne. Merci pour votre attention.)